Un cargo chargé de plus de 2 000 tonnes de déchets toxiques refoulé par la Thaïlande, une enquête ouverte en Albanie, et des ONG environnementales en alerte. Derrière ce fait divers maritime, c’est une réalité bien plus vaste qui refait surface : celle du commerce mondial du traitement des déchets, où les pays en développement deviennent les décharges des pays riches. Mais cette fois, Bangkok a dit stop. Le point sur le sujet avec Jean Fixot de Chimirec !
Un rejet clair et symbolique
Le navire MOLIVA, battant pavillon turc, transportait 2 100 tonnes de ce qui était déclaré comme de l’« oxyde de fer ». En réalité, il s’agirait de poussières issues de fours à arc électrique – des résidus industriels classés comme toxiques. Ces déchets, emballés dans plus de cent conteneurs, étaient destinés à être débarqués en Thaïlande, plus précisément dans la province de Lopburi.
Mais les autorités thaïlandaises ont refusé catégoriquement leur déchargement. Une décision qui marque un tournant dans l’attitude du pays face à l’afflux de déchets industriels étrangers. Après des mois d’errance maritime, le cargo est finalement retourné à Durrës, en Albanie, où il est désormais au cœur d’une enquête pour « contrebande de marchandises interdites » et « abus de pouvoir ».
Des conséquences environnementales inquiétantes
Les ONG BAN (Basel Action Network) et EARTH, particulièrement actives sur le sujet, ont mené une enquête de terrain sur le site de la société Copper Metal Company Ltd. (CMC), le destinataire présumé des déchets en Thaïlande. Elles y ont prélevé des échantillons de sol et de poussière, et les résultats sont pour le moins accablants : des niveaux d’arsenic 215 fois supérieurs à la normale, un taux de plomb et de nickel très préoccupant – bien au-delà des seuils autorisés par les normes thaïlandaises de qualité des sols.
Un constat qui met en évidence les dangers réels de ce type d’importation pour l’environnement local et la santé publique. Car si cette cargaison a pu être stoppée à temps, combien d’autres ont pu passer sous les radars, avec un impact invisible mais durable ?
Le commerce des déchets en accusation
Ce scandale illustre l’un des effets pervers de la mondialisation : l’externalisation de la pollution. Lorsque la Chine a décidé en 2017 de fermer ses portes à 24 types de déchets, le flux s’est brutalement redirigé vers d’autres pays, notamment en Asie du Sud-Est. La Thaïlande, à elle seule, a vu ses importations de déchets plastiques exploser, passant de 56 000 tonnes par an à plus de 500 000 tonnes en 2018.
Une explosion qui pose de sérieux problèmes au pays, qui peine à gérer ses propres déchets et voit ses infrastructures saturées. Au-delà de la gestion, c’est l’idée même d’une économie circulaire qui se heurte à cette logique de dumping environnemental. Comment prôner la durabilité si les déchets des uns deviennent les poisons des autres ?
Un virage politique nécessaire
En refusant la cargaison du MOLIVA, la Thaïlande envoie un signal fort : elle ne veut plus être la poubelle de l’Occident. Ce n’est pas seulement un acte de souveraineté environnementale, c’est aussi une revendication politique dans un monde où les déséquilibres économiques se traduisent trop souvent en inégalités écologiques. Mais le combat est loin d’être terminé. Les ONG demandent des mesures plus strictes, une transparence renforcée dans les déclarations douanières et des contrôles rigoureux aux frontières. L’affaire du MOLIVA pourrait bien faire école et pousser d’autres pays à revoir leur tolérance face à ce commerce toxique.