Les Époux Arnolfini est l’une des peintures les plus reconnaissables de la Renaissance nordique. Cette œuvre datant du XVe siècle a donné lieu à de nombreuses théories et interprétations du couple flamand peint par l’artiste Jan van Eyck. A ce jour, on en sait toujours peu sur l’intention de l’artiste. Dans ce billet, nous allons donc nous atteler à décortiquer les théories les plus répandues sur ce portrait, ainsi que les éléments techniques qui ont fait le succès de ce tableau et l’ont rendu aussi intrigant au fil des siècles.
Époux Arnolfini, l’histoire de deux cousins ?
Le nom d’Arnolfini est lié à ce tableau grâce aux archives de ses précédents propriétaires. Appartenant à l’origine à Don Diego De Guevara, un important collectionneur, ce dernier a donné le tableau à Marguerite d’Autriche en 1516. C’est dans deux inventaires distincts de sa collection que le nom Arnolfini apparaît pour la première fois. La famille Arnolfini a bâti sa richesse sur le commerce de tissus de luxe et était originaire de la ville de Luca, en Italie. On pense que deux cousins de la même famille Arnolfini sont les personnes peintes dans ce portrait signé Jan van Eyck. Ces derniers œuvraient dans le commerce italien de marchandises et vivaient tous deux à Bruges.
À l’origine, on pensait que le tableau était un portrait de Giovanni di Arrigo Arnolfini et de son épouse Jeanne de Cename. Cependant, des documents découverts dans les années 1990 sur les comptes ducaux montrent que Giovanni di Arrigo Arnolfini et Jeanne de Cename ne se sont pas mariés avant 1447, soit 13 ans après l’achèvement du portrait. On pense maintenant que le portrait d’Arnolfini représente le cousin du premier, Giovanni di Nicolao Arnolfini, et son épouse Costanza Trenta. Trenta, cependant, est morte en 1433 des suites d’un accouchement. Comme cette date est antérieure d’un an à la date signée sur le tableau, de nombreuses personnes ont spéculé sur l’identité de la femme. Il existe toutefois un indice qui laisse penser qu’il s’agit de Nicolao Arnolfini : un autre portrait peint par l’artiste, intitulé Portrait de Giovanni di Nicolao Arnolfini, datant d’environ 1435. Les similitudes entre les deux visages et le fait qu’il s’agisse d’une autre œuvre commandée par Arnolfini montrent que Jan van Eyck le connaissait.
Mariage ou mémorial ? Les théories passées et présentes autour du portrait
L’article d’Erwin Panofsky, « Le portrait d’Arnolfini de Jan van Eyck », a été l’une des premières analyses du tableau à être largement acceptée. Elle a été tellement acceptée qu’elle est l’une des principales raisons pour lesquelles le portrait est également appelé le « Portrait de mariage d’Arnolfini ». Panofsky a affirmé que l’image représente la cérémonie de mariage de Giovanni di Arrigo Arnolfini et Jeanne de Cename. Cependant, dans son essai intitulé « Le double portrait d’Arnolfini : une solution simple », l’historienne de l’art Margaret Koster suggère qu’il s’agit plutôt d’un portrait commémoratif pour l’épouse de Giovanni di Nicolao Arnolfini, décédée un an avant la signature du tableau.
L’article de Panofsky a été publié en mars 1934, tandis que les preuves les plus récentes des nouvelles identités possibles du couple datent des années 1990. Il n’en reste pas moins que ses idées méritent d’être discutées, car elles permettent de comprendre les spéculations passées sur le portrait d’Arnolfini qui ont été considérées comme la norme pendant des décennies. L’une des principales analyses de Panofsky porte sur le positionnement des mains entre le couple. La jonction des mains est un geste que l’on retrouve notamment sur les reliefs de la Rome antique, dans lesquels un homme et une femme tiennent leur main droite en signe d’union.
À la Renaissance, le mariage ne se déroulait pas de la même manière qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas nécessairement besoin de la présence d’un prêtre pour officier le mariage, ni même de témoins tant qu’il y avait un accord mutuel entre les deux personnes. Koster suggère plutôt que le fait de tenir la main signifie que le mari s’accroche encore à la main de sa femme décédée alors que sa vie s’écoule. Le chien soulève également un débat sur la signification du portrait d’Arnolfini. Pour Panofsky, le chien représente la fidélité et la loyauté du couple marié. Koster suggère que les chiens sont présents sur les tombes des femmes depuis l’époque romaine, car ils étaient censés les garder et les guider dans l’au-delà. Cela expliquerait pourquoi le chien se tient plus près de la femme, représentant sa mort.
Une autre interprétation des Époux Arnolfini
Le portrait de Jan van Eyck serait une interprétation des rôles des hommes et des femmes à l’époque où le tableau a été peint. Selon une historienne de l’art réputée qui a consacré un livre à Jan van Eyck et ses contemporains, le portrait représenterait un mari qui cède le contrôle de ses affaires à sa femme en son nom. Il faut rappeler qu’à cette époque, les hommes qui partaient en voyage d’affaires ou pour d’autres raisons avaient tendance à confier à leur épouse la gestion quotidienne de leurs affaires à la maison par le biais d’un document juridique.
Pour étayer sa théorie, l’historienne s’appuie sur un indice : le cerisier que l’on voit juste à l’extérieur de la fenêtre. Arnolfini est le plus proche de la fenêtre, qui représente donc ses obligations professionnelles, à savoir voyager et subvenir aux besoins de sa famille. Pendant ce temps, sa femme se tient le plus près d’un lit, ce qui représente ses devoirs de soins à la maison. L’historienne pense que son placement près d’un pinceau suspendu à une statue de Sainte Marguerite ou de Sainte Marthe signifie également ses devoirs d’épouse. Le fait qu’ils se tiennent par la main peut être expliqué comme un signe de consentement d’Arnolfini qui signe ses droits commerciaux à sa femme.
Ce qui est évident dans ce portrait, c’est le grand nombre d’objets qui représentent le luxe et la richesse du couple. Les oranges placées sur la table à l’extrême droite en sont un exemple. Elles peuvent avoir un symbolisme religieux ou matrimonial, mais elles donnent également un aperçu de la richesse des Arnolfini. Les oranges ne poussant pas naturellement à Bruges, seules les personnes fortunées pouvaient se permettre d’acheter des fruits qui devaient être importés. Les sculptures en bois élaborées du lit, le tapis importé et le riche mobilier de la pièce indiquent que ses objets ont une signification importante pour le commanditaire ou l’artiste.