En juillet 2024, une cargaison de 102 conteneurs chargée de déchets industriels quitte l’Albanie en direction de la Thaïlande. Mais très vite, des suspicions sur la nature toxique de ces déchets conduisent de nombreux ports à refuser leur entrée. Depuis, ces conteneurs font l’objet d’un périple mondial qui met en lumière les enjeux et les difficultés de la gestion des déchets toxiques à l’international. On fait le point avec Jean Fixot du groupe Chimirec.
Départ d’Albanie et premier refus en Thaïlande
Tout commence en Albanie, plus précisément à Elbasan, une ville industrielle produisant de grandes quantités de déchets. En juillet 2024, une société albanaise, Sokolaj, achète entre 800 et 1 000 tonnes de déchets auprès d’une autre entreprise d’Elbasan, Kurum International. Ces déchets sont ensuite revendus à GS Minerals, une filiale croate de Sokolaj. Selon les documents présentés aux douanes, cette cargaison est constituée d’oxyde de fer, un matériau autorisé à l’exportation.
Les conteneurs prennent alors la mer depuis le port de Dürres en Albanie, embarqués sur deux cargos en direction de la Thaïlande, où les déchets doivent être recyclés ou détruits. Cependant, en route, une ONG spécialisée dans la traque des déchets toxiques, le Basel Action Network (BAN), est alertée par un lanceur d’alerte. L’ONG contacte la compagnie de transport Maersk pour signaler que les conteneurs ne contiendraient pas seulement de l’oxyde de fer, mais aussi des poussières de four à arc électrique, classées comme déchets toxiques dans de nombreuses législations. Face à ces soupçons, les autorités thaïlandaises décident de refuser la cargaison.
Retour en Europe et nouveau refus
Après le refus de la Thaïlande, les conteneurs se retrouvent bloqués. Maersk, le transporteur, réexpédie la cargaison vers l’Europe, invoquant une clause de retour à l’expéditeur. De leur côté, les autorités albanaises refusent de les reprendre, affirmant qu’aucun test ne prouve la toxicité des déchets. Selon le Premier ministre albanais Edi Rama, ces soupçons reposeraient sur des accusations infondées, sans certificat d’analyse pour confirmer la présence de substances toxiques.
Cette situation révèle un vide juridique : bien que l’Albanie ne soit pas membre de l’OCDE, et donc non tenue de respecter les mêmes régulations que les pays occidentaux, la convention de Bâle impose l’obtention de consentements écrits de la part des pays de transit et du pays importateur en cas de transfert de matières dangereuses. BAN rappelle qu’aucun des pays concernés par le transit (Italie, Malte, Maroc, Afrique du Sud et Singapour) n’a donné son consentement, ce qui pourrait qualifier cette expédition de trafic illicite.
Une enquête en cours et des questions en suspens
Face à l’ampleur de cette situation, les autorités albanaises, en coordination avec l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), ont ouvert une enquête pour contrebande de marchandises interdites et abus de pouvoir. En parallèle, BAN continue d’alerter les autorités et plaide pour une clarification des responsabilités quant à la nature exacte des déchets. En effet, les poussières de four à arc électrique (EAFD) sont classées comme déchets toxiques et doivent être traitées avec des précautions strictes en raison de leur composition en métaux lourds tels que le plomb, le zinc et le cadmium.
À ce jour, les deux cargos contenant ces déchets naviguent toujours, avec un bateau au large de l’Égypte et l’autre en Italie. La situation reste en suspens alors que les autorités et ONG surveillent de près cette affaire de plus en plus complexe.